C’est en voyant des spectacles comme celui-ci que j’aime le théâtre. Irina Brook revient à Paris, après une longue tournée, avec son adaptation poétique et inventive d’un des plus grands chefs-d’œuvre du théâtre baroque « Le songe d’une nuit d’été » de William Shakespeare. J’avais vu ce spectacle étonnant il y a quelques années et je vous conseille très vivement d’aller le voir.
Le pari d’Irina Brook était de monter un spectacle populaire, au sens noble du terme, sans artifice ni gros budget. Le résultat est brillant. Elle nous transporte avec talent dans son monde imaginaire, « son songe ».
Le metteur en scène réussit à rassembler et à conquérir un public divers et varié dans une ambiance festive. Elle redonne au théâtre la possibilité de réunir aussi bien les intellectuels que les amoureux du divertissement. Elle ne se contente pas de faire une mise en scène classique d’une des pièces les plus jouées au monde. Avec cette création, elle nous propose une relecture contemporaine de l’œuvre pour la sublimer et surtout la rendre plus accessible.
Le spectacle est né de son désir de faire du théâtre en dehors des lieux traditionnels de représentation. Son ambition était de toucher un auditoire plus large. En effet En attendant le songe… a été conçu pour pouvoir être joué « sous les étoiles, parfois les étoiles de la banlieue parisienne, en plein campagne, dans la cour d’une ferme abandonnée, dans le parc d’une petite mairie, dans une forêt ». Le metteur en scène s’est octroyé beaucoup de libertés pour que son spectacle s’adapte à tous les milieux, mais le texte et l’univers de Shakespeare demeurent respectés.
Pour rester au plus proche du théâtre baroque qui privilégie l’illusion et l’irrationnel, Irina Brook a choisi de ne travailler qu’avec des hommes comme au XVIe siècle. Le rire survient alors à cause du décalage entre le texte et le jeu des acteurs. Les comédiens se travestissent pour jouer le rôle des femmes, cela donnant lieu à des scènes burlesques. Fidèle au travail de Shakespeare, Irina Brook use de la folie, du déguisement et de la complexité de l’histoire. Elle s’adresse directement à notre sensibilité, à notre imagination. Ce spectacle est drôle et léger, mais pose de vraies questions sur le fondement de la nature humaine. Dans Le Songe d’une nuit d’été s’entrecroisent, de façon onirique, amoureux transis, personnages magiques, rois et reines, artisans, une troupe de comédiens amateurs…
Pour la création de ce spectacle, Irina Brook a fait entièrement confiance à ses six acteurs, qui ont beaucoup travaillé à partir d’improvisation sur le plateau. Par ailleurs en voyant En attendant le songe… j’ai évidemment pensé à l’ouvrage de Peter Brook (grand metteur en scène et père d’Irina) L’espace vide. Dans ce livre il explique ce qu’est pour lui l’absence de décor, ce que ça implique, ce que ça met en évidence. L’espace vide est créé par le metteur en scène pour laisser libre cours à l’imagination du public. Il a aussi une influence sur l’acteur, sur qui repose alors tout le spectacle. Son rôle devient essentiel. La scène ne doit pas être complètement nue mais dépourvue de tout ce qui pourrait parasiter le jeu de l’acteur et encombrer l’esprit du spectateur.
Il me paraît évident que, consciemment ou inconsciemment, Irina Brook s’est inspirée de cette notion décrite par son père, car son spectacle s’inscrit tout à fait dans cette démarche. La magie du théâtre opère sans décor, sans costume réaliste. C’est cet espace vide qui fait que le spectacle a une portée universelle, qu’il s’adresse à tous.
En attendant le songe… est une perle rare, un spectacle hilarant et novateur à voir absolument pour sa singularité, mais surtout pour ce qu’il apporte au théâtre. Il contribue à la popularisation de celui-ci, qui ne peut pas et ne doit pas rester élitiste. Il est de ces spectacles qui enchantent et donnent une légitimité à l’art, En attendant le songe…en fait partie.
A partir du 19 mai au petit Théâtre de Paris :
Candy
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire